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17 mai 2006 3 17 /05 /mai /2006 11:35
Lettre ouverte de deux Français travaillant au Rwanda sur l’honneur de notre pays.
 
Alors que nous entamons la dernière semaine de mai, se termine au Rwanda les commémorations en souvenir des victimes du génocide des Tutsis et du massacre des opposants Hutus qui a commencé il y a douze ans le 7 avril 1994. En tant que citoyens français travaillant au Rwanda, nous nous sentons à la fois attristés et inquiets par le déni dont continue de faire preuve notre pays concernant sa responsabilité dans ce génocide.
 
Cette complicité n’a-t-elle pas été clairement établi au fil des années ? Elle a d’abord été mise en lumière par les rapports du sénat Belge, de l’OUA et de l’ONU. Puis, la mission d’information parlementaire française en 1998, notamment dans ses annexes, a permit de mettre le doigt sur le rôle trouble joué par notre pays pendant le génocide. Enfin, les travaux d'une Commission d’Enquête Citoyenne – organisée par quatre associations françaises en mars 2004[1] – ont démontré l’importance de cette complicité et nous obligent à demander l’ouverture d’une véritable enquête parlementaire sur le sujet.
 
Nous sommes blessés de voir que pour le moment ces faits sont le plus souvent niés ou ignorés par les représentants de nos forces politiques, intellectuelles, syndicales, et spirituelles.
 
Certains de ceux qui nient les faits pensent défendre l'honneur de la France. Pourtant, le courage d'un pays et d'une armée qui veulent sauver leur honneur ne serrait-il pas de reconnaître leurs erreurs et de se battre pour que la justice soit rendue ? Quel renouveau pour un pays qui se dit proche des droits de l’homme, s'il ne fait pas réellement l’inventaire de son passé ?
 
Nous pensons que tout le monde a le droit au respect de sa mémoire et donc de sa dignité et que l’avenir de la France ne peut se faire sur l’ignorance, l’oubli et le négationnisme.
 
Ces questions nous amènent à nous interroger plus profondément sur le mépris des peuples et pose la question de l’indifférence à l’homme. Invariablement la question posée par le Général Dallaire, l'ancien commandant des forces de l'ONU au Rwanda en 1994, nous revient à l’esprit : « Tous les hommes sont-ils des êtres humains, ou certains sont-ils plus humains que d’autres ? »
 
Les « simple citoyens » dont nous faisons partis, ont aussi leur part de responsabilité car bien souvent nous avons choisi de ne pas voir ce qui se passait au Rwanda en 1994. Or, n’est-ce pas notre responsabilité à chacun de chercher à comprendre ce qu'en notre nom on a fait au Rwanda, et le mensonge qu'on continue à défendre, aussi en notre nom ?
 
En tant que citoyens Français nous devons donc nous interroger sur le rôle que notre pays a joué dans la tragédie rwandaise et faire en sorte que les responsables soient jugés, mais nous devons aussi soutenir les Rwandais dans leur volonté d'aller de l'avant. Pour cela nous devons commencer par changer notre regard. En effet quand en France nous disons que nous travaillons au Rwanda, nous voyons dans les yeux de nos interlocuteurs de la peur et de l'appréhension. Pour la majorité des Français le « Rwanda » est uniquement synonyme de « génocide ». Comment rebâtir votre pays et vivre de manière fière et digne quand la simple évocation du nom de votre pays éveille la peur dans les yeux du monde ?
 
Nous devons chercher à sortir le Rwanda de cette image négative en mettant en avant la richesse de sa culture, son patrimoine de sagesse, ainsi que la vitalité de sa jeunesse qui fourmille d'initiatives pour essayer de mieux-vivre ensemble.
 
Nous voyons beaucoup d'ONG américaines et européennes venir au Rwanda pour enseigner aux Rwandais comment se réconcilier, comment pardonner,... Ne ferraient-ils pas mieux de venir au Rwanda pour apprendre comment les gens font pour revivre ensemble depuis douze ans ?Bien sûr ce n'est pas facile, et il faudra plusieurs générations pour effacer les traumatismes liés au génocide, mais le fait est là, les gens revivent ensemble. Tous les jours ils développent des ruses anonymes pour essayer de changer le monde, leur monde. Il y a une véritable sagesse qui ressort de leur comportement. Pour apprendre, il suffit d'ouvrir les yeux.
 
Nous voudrions à ce titre citer les paroles d'une association de veuves qui fait un travail extraordinaire depuis la fin du génocide dans la région de Butare au sud du pays. Au départ elles se sont réunies ensemble simplement pour pleurer, puis pour se consoler, puis pour reconstruire les maisons de chacune, puis pour s'entre-aider à racheter du petit bétail... de fil en aiguille cette association est devenue un des organismes les plus dynamiques de la région, un véritable îlot d'espoir pour tous ceux qui étaient perdus.
 
Voici la parole de ces femmes :
 
« Les horreurs que nous avons vécues ne nous autorisent pas à nous taire et d'oublier. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre comme s'il ne s'était rien passé, mais cela ne nous empêche pas de vivre pleinement et d’œuvrer utilement pour l'unité et la réconciliation. Plus nous en parlons et plus nous nous sentons soulagées et libérées d'un poids énorme. Malgré la douleur qui reste permanente, nous sommes fières de ne pas avoir cédé au désespoir, d'avoir refusé de succomber sous le poids de la douleur et du chagrin, et d'avoir pu se relever courageusement pour se rendre utile à la société. »
 
Un proverbe rwandais que ces femmes aiment mettre en avant dit : “Intimba y'intore ntiyibuza guhamiriza, kandi ikizihirwa” : Le chagrin d'une personne courageuse ne l'empêche pas de danser et de se sentir heureuse. Toute leur vie actuelle témoigne ainsi d'une grande victoire de l'espoir sur le désespoir, de la vie sur la mort et sur le génocide lui-même qui croyait avoir le dernier mot.
 
Comment pouvons rester indifférents face à tant d'opiniâtreté et de résistance devant l'adversité ? Comment pouvons nous manquer à se point d'honneur et de dignité que nous refusions encore de reconnaître ce que tout le monde au Rwanda sait et que de nombreux témoignages en France ont confirmés[2], c'est-à-dire que le gouvernement et l'armée française ont soutenu les génocidaires ?
 
Car ce qui fait figure de sujet à polémique en France ne fait pas plus débat au Rwanda que de savoir la couleur du cheval blanc d'Henri IV. Le rôle que la France a joué en 1994 est un fait accompli et connu de tous.
 
Le chemin sera encore long pour créer d'autres relations entre des pays et des peuples qui peuvent encore si peu s'aborder sur un pied d'égalité. Cependant, nous pensons que la France a besoin dès aujourd’hui de prises de position forte sur son histoire avec le Rwanda.
 
Nous invitons les personnalités politiques, intellectuels, et religieuses de notre pays à s’attaquer résolument à ces questions, et à prendre la parole pour aider notre pays à y chercher les réponses. Le silence est indécent car il prolonge l’injustice et rajoute un poids supplémentaire à des femmes, des hommes et des enfants qui essayent de faire face à tous les défis pour rebâtir leur pays et y faire renaître l'espoir. Tâchons d'y apporter notre soutien.
 
 
Benjamin Chapeau et Ignace Fabiani sont animateurs dans un centre
qui accueil des enfants qui vivaient dans la rue à Kigali, la capitale du Rwanda.


[1]              Les travaux de cette commission d'enquête sont disponibles dans l'ouvrage, L'horreur qui nous prend au visage aux éditions Karthala. Vous pouvez aussi consulter le site : www.enquete-citoyenne-rwanda.org
[2]              Voir par exemple l'interview de l'adjudant chef du GIGN Thierry Prungnaud sur France Culture le 22 avril 2005
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